En 1965, Anatole Jakovsky consacre un ouvrage aux cactus qu’il clôt ainsi : « dégrisés de
la vitesse, on a eu envie de s’asseoir tranquillement chez soi, en dehors de la ville, de
préférence, et de regarder les humbles fleurs des champs ». L’auteur associe les fleurs à
deux espaces a priori antagonistes, l’espace domestique (« chez soi ») et l’espace naturel,
le paysage (« des champs »). Jakovsky décrypte ici notre rapport ambivalent aux fleurs
que l’on admire volontiers dans leur milieu naturel tout en aspirant à les ramener dans
nos intérieurs, parfois même à les figer afin de leur offrir une éternité. Notre relation aux
fleurs traduirait-elle notre rapport au monde ?
Cette exposition est l’occasion pour le visiteur de se plonger, en premier lieu, dans le
ravissement de paysages floraux pour ensuite être invité à réfléchir à nos habitudes,
tendances et aspirations à nous entourer de fleurs (bouquets de fleurs fraiches, de fleurs
séchées ou même de motifs floraux d’ameublement). L’exposition aborde ensuite la fleur
comme symbole et atout de la féminité ou encore métaphore de l’érotisme. Si les fleurs
sont associées au bucolique, au décoratif et au désir, c’est-à-dire volontiers rangées du
côté des choses silencieuses, voire muettes, elles peuvent par moment devenir bavardes,
offrir l’occasion d’une prise de parole. C’est ce que suggère la dernière salle. E.A.
Salle 1
Après de longs mois d’hiver, au cours desquels seules les plantes grasses semblent ne
pas avoir perdu de leur superbe, les signes du printemps viennent enchanter les rues et
les chemins escarpés. Des tâches colorées tapissent les prairies, les jardins publics et les
sous-bois, à l’image des paysages saturés de Jean-Simon Raclot. C’est ensuite aux
glycines dont les grappes mauves tombent du ciel d’embaumer, pour notre plus grand
plaisir, de leur délicate senteur. Puis, c’est au tour des jasmins et des fleurs d’oranger de
nous interpeler par leur enivrant parfum. La naissance du printemps apparaît tout à
coup, nous surprend pour mieux nous ravir. Le spectacle est à son comble : explosion de
couleurs et d’odeurs dont les paysages luxuriants de Raymond Riec-Jestin et John
McAllister se font l’écho. La peinture devient la surface révélatrice de leur sensibilité à la
nature. L’intensité de cet instant, liée à sa fugacité, constitue sans doute le moment le
plus privilégié de notre relation aux fleurs. Ce n’est pas l’heure des fleurs décoratives des
parterres des villes et des jardinières des balcons dont Paolo Topy questionne
l’artificialité, mais celle de la fleur des champs qui éclot, ici et là, au hasard des
pollinisations - fleur sauvage que Simon Bérard (1) met en majesté. E.A.
Salle 2
Le printemps nous aimante vers l’extérieur. L’intensité lumineuse et le réchauffement de
l’air nous invitent au plaisir des pérégrinations printanières qui nous offrent autant
d’occasions de glaner quelques fleurs des champs. La présence, dans nos intérieurs, des
fleurs « volées », dérobées à la nature est une manière de ramener avec nous une part de
cette réalité, un peu de ces émotions ressenties, de cette vitalité. Elle est mémoire de ce
moment d’émerveillement. Le bouquet de fleurs devient le succédané de cette vie
extérieure dont le dynamisme et la vigueur sont remarquablement figurés dans l’œuvre
de Germain Van der Steen. Et pourtant, ce geste les condamne. Leur vie dans un vase
sera d’autant plus fugace qu’elles auront perdu leurs racines nourricières. Issue fatale
suggérée par le bouquet de tiges de Thierry Lagalla. Les fleurs fraichement coupées se
métamorphoseront à mesure des jours en fleurs fanées, séchées, abandonnées dans leur
vase rejoignant ainsi la catégorie des objets inanimés. A moins qu’un artiste, à l’image de
Lionel Estève (2), ne s’en empare pour les sublimer ; métamorphosant, grâce à la
peinture, ces choses mortes en évocation d’un champ de coquelicots à l’orée de la belle
saison. La présence des fleurs dans nos intérieurs, en tiges ou comme élément du décor
(Marc Alberghina, Genesis Belanger (3), Sophie Ristelhueber) traduit notre besoin
d’évasion. E.A.
Salle 4
Si les femmes ont utilisé, depuis l’Antiquité, de vraies fleurs comme accessoire de mode
et de séduction (couronne, guirlande et broches de fleurs), il faut attendre le
développement de l’industrie du textile au XVIIIe siècle pour que leur corps en soit
entièrement paré. Dès lors, les imprimés floraux sont sans cesse renouvelés, selon
l’inventivité de leur créateur, jusqu’aux années soixante où la fleur devient symbole de
libération, de liberté, de plaisir et de paix. Libération de la sexualité qui voit dans son
épanouissement la fleur recouvrer des connotations érotiques. Cet érotisme est
manifeste dans la sirène de Figueiredo dont la puissance séductrice n’est pas sans
danger. On sait, depuis Ulysse, l’issue fatale du chant des sirènes. Le buste virginal de
Johan Creten, revêtu de fleurs, n’est-il pas, lui aussi, évocateur du parfum supposé des
femmes et de son caractère sublimé et envoutant ? La série des Vaginal Flowers d’Araki
(4) ne suggère t-elle pas le pouvoir d’attraction et la puissance fantasmagorique du sexe
féminin ? Quant à Karim Ghelloussi, il nous rappelle que l’association femme/fleur est
une construction culturelle qui a traversé les siècles et dont les signes apparaissent dès
l’enfance. E.A.
Salle 5
Le mouvement Flower Power des années 60 et 70 a démontré que les fleurs pouvaient
être porteuses d’un message de paix et de non-violence. C’est également l’occasion pour
la femme/fleur de prendre la parole et de revendiquer des droits. La proposition de
Sandra Lecoq s’inscrit dans cette démarche à travers l’affirmation d’une puissance et
d’une libération féminine « Female Wild Soul – L’âme de la femelle sauvage ». Si le
Flower Power a doté les fleurs d’un pouvoir libérateur et pacificateur, d’une dimension
profondément positive, elles ont pu aussi être utilisées pour dénoncer la violence et les
désastres de la guerre à l’image des séries Sniper de Noël Dolla et Lost Memory de Joseph
Dadoune (5). Dans les dessins de ce dernier, la fleur devient symbole de l’exil, d’un corps
déraciné. Cette charge critique attribuée aux fleurs se retrouve dans le Cactus Painting
de Ghada Amer qui établit, dans un espace défini, un équilibre et une égalité entre des
plantes symboliquement mâles et femelles. Enfin, chez Jean-Baptiste Ganne (6)
l’omniprésence des tulipes, au milieu de scènes d’affrontements urbains entre forces
policières et manifestants, interroge.
Elodie Antoine